Le PFAJ fête ses 25 ans 2018-01-05T12:18:05+01:00

« Messieurs Dames à la maison, vous êtes témoins d’un des plus grands succès dans la télévision allemande, notre show complètement en français, un des plus grands succès de tous les temps […] parce que c’est européen, c’est l’amitié, et c’est la perfection. » (Harald Schmidt, 28/05/2002)

Impossible de prétendre que l’édition du Harald Schmidt Show du 28 mai 2002 ait pulvérisé des records d’audience. Mais il n’est pas négligeable qu’environ 700.000 téléspectateurs soient restés fidèles à la chaîne de télévision privée Sat.1 pour suivre – une heure durant – Harald Schmidt, son équipe et son invitée Barbara Schöneberger lors de leur show présenté exclusivement… en français !

Avoir accordé le Prix Franco-Allemand du Journalisme dans la catégorie Télévision à cette émission fut l’une des décisions les plus contestées de l’histoire de cette distinction. Tandis que les détracteurs avançaient que ladite émission ne relevait pas d’un travail journalistique, ses partisans faisaient au contraire valoir qu’il y avait eu en amont une préparation de qualité qui supposait des connaissances réelles de la France, de sa culture et de sa langue. Et ces derniers insistaient sur l’originalité de l’émission et sur le courage qu’il avait fallu pour présenter la France sous un angle authentique, distrayant et drôle – bref, du divertissement intelligent – au public d’une chaîne financée par la publicité.

Ce fut d’ailleurs la première et l’une des rares fois, où un prix du PFAJ a été attribué à une chaîne privée. Rien d’étonnant à cela, vu qu’en Allemagne comme en France, les reportages fondés sur un travail d’investigation et d’information original tout autant que captivant, semblent être l’apanage des chaînes du service public.

La création

C’est en 1983 que le Prix Franco-Allemand du Journalisme a été décerné pour la première fois. Le Traité de l’Elysée avait été signé 20 ans plus tôt et l’image de « l’ennemi héréditaire » n’était plus vraiment d’actualité. Grâce à la construction européenne et aux nombreuses rencontres entre dirigeants comme entre simples citoyens, les Français et les Allemands s’étaient rapprochés. La méfiance des décennies passées cédait sa place à un intérêt réciproque.

Or, cet intérêt ne bénéficiait pas d’un ancrage suffisant dans les médias. La France était le premier partenaire commercial de l’Allemagne et inversement, l’économie allemande jouait un rôle moteur en Europe, la Bundesbank en était le métronome et nombre d’initiatives politiques majeures étaient élaborées en commun par la France et l’Allemagne. Et pourtant, les médias ne faisaient que trop rarement un véritable travail d’investigation sur le pays voisin. Il fallait souvent se contenter de clichés et de jugements à l’emporte-pièce. Le Professor Dr. Hubert Rohde, alors président de la Saarländischer Rundfunk, décida de prendre le taureau par les cornes et déclara le 2 janvier 1983 :

 « À l’occasion du 20ème anniversaire de la signature du Traité de coopération franco-allemand, la Saarländischer Rundfunk décerne cette année pour la première fois un Prix Franco-Allemand du Journalisme. Ce prix est créé pour inciter des journalistes français et allemands à traiter des sujets politiques et économiques éminemment franco-allemands à la radio et à la télévision.»

les trophées remis au fil du temps

C’est quelques mois plus tôt que l’idée d’une telle distinction était née. Elle émanait de Gert Opitz et d’Otto Klinkhammer, alors le premier conseiller personnel du président et le second rédacteur en chef de la Saarländischer Rundfunk pour la radio et la télévision. C’est aussi lui qui sera secrétaire général du PFAJ les trois premières années et qui aura pour tâche de débloquer l’argent de la dotation sur le budget de sa rédaction.

‹ La chasse › au participants français

Ce n’est bien sûr pas un hasard si la paternité du PFAJ revient à la Saarländischer Rundfunk. Il suffit en effet de penser à la situation frontalière de la Sarre, à son statut antérieur de protectorat français jusqu’en 1957, à la participation active de la France dans la création de la SR et enfin aux diverses formes de coopération de cette chaîne avec la radio et la télévision françaises.

Les premières années, le prix se réduisait à deux catégories : radio et télévision. Ne pouvaient par ailleurs être retenus que des sujets ayant trait à la politique et à l’économie. À ses débuts, le prix n’avait de franco-allemand que le nom. En effet, les dossiers remis provenaient presque exclusivement d’Allemagne et il fallait insister pour que des Français présentent des contributions (Klinkhammer se souvient : « à l’époque, il fallait faire la chasse aux participants d’outre-Rhin »). Pire encore, de 1986 à 1988 ainsi qu’en 1991, le prix PFAJ ne put être décerné – faute d’argent. Et il fallut attendre dix ans après sa création, c’est-à-dire 1993, pour qu’une contribution provenant de France se voie récompensée.

Il est vrai que, aujourd’hui encore, l’écrasante majorité des dossiers présentés vient d’Allemagne. Cette situation est due en grande partie au paysage audiovisuel allemand fondé sur le fédéralisme, avec plusieurs chaînes de radio-télévision des Länder dotées de solides budgets. L’importance de la presse régionale fait aussi que l’Allemagne compte deux fois plus de journalistes que la France.

Les nouveaux partenaires et les nouvelles catégories récompensées

Il faut rendre hommage à ceux qui se sont investis pour un meilleur rayonnement du Prix en France : le Consulat général de France en Sarre, l’ancien ambassadeur de France en Allemagne Jacques Morizet ainsi que Rudolph Herrmann, de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, qui a donné de sa personne pour promouvoir ce Prix en incitant des journalistes français à y participer.

Il aura fallu attendre que Radio France puis Radio France Internationale et France Télévisions rejoignent nos rangs pour que le PFAJ commence à avoir une notoriété en France. Ces diffuseurs sont partie prenante dans son organisation et contribuent financièrement à sa dotation. Si la structure était gérée jusqu’à présent avec une certaine dose d’improvisation, elle est maintenant de plus en plus « professionnelle ».

La volonté de la SR de récompenser des articles et reportages de qualité dans le domaine franco-allemand a amené progressivement d’autres acteurs d’opinion à s’y intéresser ; c’est ainsi que la ZDF, le groupe d’édition Holtzbrinck et ARTE sont maintenant des nôtres. Nous avons aussi dorénavant le soutien d’organismes qui ont pour mission de renforcer le dialogue franco-allemand : l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, le Département de la Moselle et la Robert Bosch Stiftung. Nous avons également bénéficié durant quelques années du soutien de la Fondation ASKO Europa et du Haut Conseil culturel franco-allemand.

Avec ces nouveaux venus, le PFAJ a pu s’assurer de meilleures conditions de financement. Des journaux et des maisons d’édition ayant manifesté leur désir d’être aussi partie prenante, la catégorie « presse écrite » a été ajoutée en 1994, suivie en 2004 de celle couvrant « Internet ». Des « prix spéciaux » dans les domaines de l’économie et de la culture ont été parfois instaurés et à une certaine époque, une distinction a été établie entre reportages courts et reportages longs (plus de 10

mn ou plus de 20 mn) dans la catégorie « télévision ». En 1990, les organisateurs ont lancé un « Prix des jeunes talents » (alors dénommé « Prix spécial de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse »). En 1998, un « Prix d’honneur » a été mis en place pour la première fois, qui est devenu cette année le « Grand prix Franco-Allemand du Journalisme » : cette nouvelle appellation permet de récompenser dorénavant des lauréats qui ne sont pas journalistes, mais dont le travail contribue au rapprochement franco-allemand.

Otto Klinkhammer (g.), Hubert Rohde (2e à partir de la g.), Martin Graff (4e à partir de la g.)

Les remises du Prix : du studio au château et retour au studio

En 1983, la remise des prix n’avait donné lieu qu’à une cérémonie modeste dans le grand studio de la SR. Le cadre est ensuite devenu de plus en plus fastueux : château de Pillnitz à Dresde en 1994, salons du ministère français des Affaires étrangères en 1997, 1999 et 2001 ; château de Petersberg près de Bonn (résidence pour les invités du gouvernement fédéral) en 1998 ; grand salon dit « du Monde » du ministère des Affaires étrangères allemand en 2002. Ces années-là, la cérémonie se déroulait sous le haut patronage des ministres des Affaires étrangères français et allemand.

Depuis 2003, ce sont à nouveau les mécènes et organisateurs qui accueillent la manifestation, les ministres concernés se chargeant ensuite à tour de rôle d’inviter les organisateurs et les lauréats à une réception ou à un dîner dans leur ambassade. Diverses personnalités ont eu l’occasion de présenter le palmarès : Ulrich Wickert, Gabi Bauer, Steffen Seibert, Patrick Chêne, Michèle Cotta et Françoise Laborde notamment. À trois reprises, l’animatrice en a été Anette Burgdorf qui est devenue pour les Français « l’Allemande » emblématique avec ses chroniques pour l’émission Union libre sur France 2. Capable de passer naturellement d’une langue à l’autre, c’est dorénavant elle qui est la seule maîtresse de cérémonie après des années de présentation conjointe par un/e germanophone et un/e francophone.

Les membres du jury et les lauréats récompensés à plusieurs reprises

Avec la meilleure notoriété du Prix et la multiplication des catégories visées, le nombre de candidats en lice a aussi augmenté. Le nombre record de dossiers est de 230 contre 16 déposés au tout début. Le jury a donc fort à faire, d’où la mise en place d’un pré-jury qui procède à une première sélection. Ce dernier se retrouve traditionnellement à Sarrebruck et établit une liste pour chaque catégorie, à partir de laquelle le grand jury choisit ensuite les lauréats. Cette dernière instance est composée de journalistes reconnus et de professionnels des médias venus de France et d’Allemagne ou parfois d’autres pays (par ex. Luxembourg, USA) qui apportent un regard « extérieur ».Citons parmi les jurés : Peter Scholl-Latour, Heiko Engelkes, Marc Leroy-Beaulieu et Philippe Rochot.

Il est arrivé que le jury récompense plusieurs fois le même journaliste. Ainsi Martin Graff (1er prix Télévision en 1984 , 3ème prix en 1985, Prix spécial du Haut Conseil culturel franco-allemand en 1995). Ou dans deux catégories différentes : Pascale Hugues (pour un téléfilm en 2002, pour un article de presse en 2005) ; Harald Schultz (en 2000 pour un article de presse, en 2007 pour une rubrique Internet ; Sophie Rosenzweig a même récolté trois prix dans deux catégories (1er prix radio en 1989 et 1994, 1er prix télévision en 1997 – avec différents co-auteurs). Mais le record absolu est détenu par Jean-Paul Picaper, lauréat dans trois catégories : radio en 1983, prix spécial de la Fondation ASKO Europa pour la presse écrite en 1997 et prix d’honneur en 2004 (notamment pour la création du site franco-allemand www.eurbag.eu).

Une distinction du PFAJ a marqué le lancement de leur carrière pour certains, elle est venue confirmer la qualité du travail existant pour d’autres. C’est en particulier le cas pour le Prix d’honneur qui couronne l’oeuvre d’un journaliste reconnu. Après le palmarès, il n’est pas rare que les émissions de radio ou de télévision primées soient rediffusées sur la chaîne d’origine ou sur une autre.

1983 : réunion du jury avec Peter Scholl-Latour (6e à partir de la gauche)

Perspectives futures pour le prix

25 ans après sa création, le PFAJ est l’un des prix les plus prestigieux et financièrement les mieux dotés dans le monde du journalisme. La Saarländischer Rundfunk a continué d’en être le principal organisateur et mécène. C’est à partir de Sarrebruck que s’établit la communication en direction de Paris et de Berlin, mais aussi de l’Allemagne et de la France profondes. La remise des prix a lieu alternativement à Paris et à Berlin.

1994 : les lauréats

Le débat est régulièrement ouvert sur l’actualité et la pertinence du PFAJ : ne vaudrait-il pas mieux décerner un Prix européen du journalisme ? N’en savons-nous pas déjà assez sur nos deux pays respectifs ? Pourtant, les clichés et les stéréotypes ont la vie dure. Les hommes et les femmes qui s’investissent jour après jour dans la coopération franco-allemande savent comment des malentendus viennent la mettre à mal aujourd’hui comme hier. Et nos jurés, tout comme les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs avertis de part et d’autre du Rhin, n’en croient parfois pas leurs yeux ou leurs oreilles en voyant ou en entendant certains articles ou reportages sur notre voisin.

C’est pourquoi la SR et ses partenaires sont convaincus que ce Prix a toujours une raison d’être. Continuons à récompenser des travaux qui contribuent à une meilleure compréhension mutuelle entre nos deux pays et permettent de mieux appréhender le rôle du « couple » franco-allemand en Europe. Parce que le PFAJ est décerné à des rédactions et des auteurs qui donnent au journalisme ses lettres de noblesse. Et aussi parce qu’il insuffle une dynamique, donne naissance à des coproductions et des instances de coopération, comme en témoigne la création de l’entreprise télévisuelle ARTE en 1991. Initiatives innovantes et travail d’information commun restent à l’ordre du jour.

1995 : l’animateur Ulrich Wickert (à dr.)

1998 : le ministre Klaus Kinkel

1996 : Oskar Lafontaine, Isabelle Bourgeois